Les éditions Thierry Sajat ont publié Muselli l’Épistolier - Autour de soixante-dix lettres inédites de Vincent Muselli à Suzanne Lehaut et à quelques autres correspondants, par Véronique Beaussillon, petite fille de Suzanne Lehaut et filleule du poète, et Christian Gury, essayiste. Les auteurs nous ont présenté leur livre, qui ajoute aux deux biographies du poète en l’humanisant ; car il prouve que l’écrivain n’était pas le misanthrope que l’on a cru, en même temps qu’il nous offre le beau portrait d’une mécène.
En classant des papiers de famille, Véronique Beaussillon, filleule de Vincent Muselli découvre des courriers inédits du poète. Des amis l’incitent à publier cette correspondance « Je fus d’abord partagée entre deux sentiments : d’une part, la frayeur de coucher sur le papier des échanges qui ne m’appartenaient pas et, d’autre part, la joie de fouiller ma mémoire à la recherche d’anecdotes familiales sur ce parrain disparu alors que j’étais très jeune. » En collaboration avec Christian Gury, par ailleurs auteur d’une étude sur Vincent Muselli, Véronique Beaussillon raconte ce parrain dont l’âme vagabonde peuplait le salon de sa grand-mère Suzanne Lehaut. Une photographie du poète en cape et canne à la main au-dessus du divan du salon ou encore des poèmes écrits de sa main, posés sur la table du salon pour être lus à toute heure…
Suzanne Lehaut fut non seulement une muse pour Vincent Muselli qui lui dédiera le poème « les beaux enfants » mais aussi pour les peintres et les écrivains. Surnommée Belles Quenottes, en raison de sa profession de dentiste, tout la préparait à son rôle de mécène, Suzanne a rencontré Vincent Muselli, un proche de son second mari, Paul Lehaut. Aussitôt naquit une amitié sans faille entre la belle dentiste et le poète qui deviendra un habitué de la maison de la Charité-sur-Loire. Leur amitié grandit dans le culte de Romain Rolland grand pacifiste et lauréat du prix Nobel de littérature en 1915.
Bohème dans la vie, rêveur et maladroit, déconcerté par le quotidien, Vincent Muselli avait la réputation d’oublier un rendez-vous ou de répondre aux lettres de ses amis. Sans le vouloir, le poète était rebelle aux us et coutumes bien qu’il portât un amour profond à sa famille et à ses amis. Néanmoins, il leur écrivait de jolies lettres pour s’enquérir de leur santé, glissées dans des enveloppes dont l’adresse était rédigée en vers comme le fit Mallarmé. Nul doute que les facteurs devaient en être flattés. Anti-marquise de Sévigné, cet épistolier excelle dans la brièveté ; on peut même dire qu’il était un adepte du style télégraphique. Voici ce qu’il écrivait à Suzanne Lehaut pour la prévenir d’un contretemps : « Vendredi – Toujours convenu pour demain, chère Suzanne, mais je ne pourrai pas prendre le train du matin ; je prendrai celui de 13 heures – à demain ! - En très haute affection – Vincent. » Ou encore sur une feuille arrachée « Je vous embrasse, chère Suzanne - Vincent » et encore « Chère Suzanne – de tout mon cœur je vous embrasse – Vincent.» Il lui arrivait d’écrire pour annoncer qu’il va répondre : « Je vais vous écrire une vraie lettre dans quelques jours - Vincent » ou bien « Affectueuses pensées lettre suit. V. M. »
D’autres que Suzanne Lehaut se seraient rapidement lassées des répétitions emberlificotées mais le poète savait à ses heures faire preuse de délicatesse et d’élégance dans l’expression : « Mardi (19 mai 1953) – Chère Suzanne – Vous aurez deviné que si je ne vous écrivais point, tous ces jours derniers, c’est que les choses ne s’arrangeaient point selon mes désirs – Je crains, en effet, qu’il ne me soit pas possible de me trouver à la Charité à la date que nous avions prévue. Je vous écrirai de nouveau à ce sujet, demain mercredi. Mais s’il fallait remettre à un peu plus tard le soin de fêter cet anniversaire, s’il m’était impossible d’être avec vous le 22, je suis sûr, chère Suzanne, que ce jour-là nous serions ensemble par la pensée. - Je vous écrirai demain – Je vous embrasse de tout mon cœur. - Vincent »
Ces quelques exemples illustrent l’amitié exceptionnelle voire une affection fraternelle qui unissait la mécène et le poète.
L’épistolier poète. Vincent Muselli était un poète connu et reconnu. Il a d’ailleurs publié un recueil intitulé « Lettres ». Un opus qui regroupe dix pièces de huit alexandrins, organisés en deux quatrains. Quant à l’ensemble de vingt-six œuvres baptisé « Poèmes », il s’ouvre par trois lettres dont une de dix-huit vers de quatre pieds, adressée à Madeleine Pierre. Vincent Muselli affectionnait les lettres poèmes parmi lesquelles celle adressée à Guillaume Apollinaire, un billet d’excuse en forme de certificat médical :
« Si de te voir ce soir je n’ai point l’agrément
Certes de m’excuser il te sera facile
Quand tu sauras qu’Angine et Grippe mêmement
Dans ma gorge enflammée ont fait leur domicile »
Christian Gury et Véronique Beaussillon nous livrent un livre plein de tendresse, de respect de l’autre, au charme suranné, reflet d’un temps hélas disparu.
L’assistance a beaucoup aimé le dialogue intercatif avec les auteurs, d’autant que Jean Génisty avait aussi préparé des déclamations des beaux vers de Vincent Muselli, poète classique s’il en fût.
Rappelons que la Ville de Paris, en un temps de politique culturelle honorant préférentiellement les écrivains, avait pris l’initiative d’apposer une plaque sur la maison de l’écrivain, rue Legendre. Elle existe toujours.
Mireille Héros
Mais ces oiseaux qui volaient haut dans le soir,
En chantant malgré le vent et malgré l'ombre.
Disaient-ils point, ah, si fiers en ce décombre!
L'inexorable dureté de l'espoir.
La peur entrait dans la bête et dans la plante,
Les angoisses peuplaient l'air alentour, mais
Ces oiseaux, alors, chantèrent à jamais,
Ignorants de la lumière fléchissante.
Déjà le jour noircissait dans les roseaux,
Un deuil froid poignait les choses de la plaine,
Tout mourait, dans quel secret ! et cette peine
Était longue sur l'étang. Mais ces oiseaux...