La marque majeure de l'Esprit français, c'est de pouvoir accroître la liberté. Il prend sa source dans une langue structurée, claire, précise, exacte, chère à nos siècles les plus glorieux.
De Jean d'Ormesson à Sacha Guitry en passant par Maurice Druon, l'écrivain Axel Maugey évoquait le 9 avril 2025 "l'esprit français", joyeux, impertinent, nuancé, toujours au service des sentiments et des sensations. Sa conférence était émaillée de nombreuses citations que l’on retrouve dans son livre « L’esprit français de Madame de Lafayette à Jean d’Ormesson ».
Le 9 avril 2025, Axel Maugey nous a offert une promenade à travers les siècles depuis les Lumières, époque à laquelle les européens cultivés enviaient l’art de vivre à la française. En ce temps là, Paris et Versailles faisaient figure « de villes influenceuses » sur tout le continent européen. Le Français était alors la langue de la séduction, de la conversation, de l’éducation, de la littérature, de la diplomatie en un mot de l’esprit auprès des élites du monde occidental et pour certaines du monde oriental.
L’esprit français, rappelle Axel Maugey, prend sa source dans la langue d’un pays de liberté, la France, et dans le dialogue entre les différentes cultures. Un pays de liberté dans lequel le Figaro de Beaumarchais n’hésite pas à affirmer : « sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur ! »
Sacha Guitry : le Casanova de la réplique. Le conférencier est revenu sur quelques personnages clés qui ont marqué et marquent encore le monde des arts et des lettres dont Sacha Guitry, comédien, dramaturge, metteur en scène, réalisateur et scénariste, célèbre pour son esprit, son humour parfois grinçant et ses nombreuses conquêtes. Ce Casanova de la réplique a laissé quelques citations célèbres comme : « n’est pas cocu qui veut et nous ne devons épouser que de très jolies femmes si nous voulons qu’un jour on nous en délivre »
Mais Sacha Guitry était avant tout amoureux de son pays et de sa langue :
« Je n’ai qu’une passion : le travail
Je n’ai qu’un bonheur : aimer
Et je n’ai qu’un amour : la France »
Inquiété à la Libération, il déclarera : « la libération, j’en ai été le premier prévenu ».
Colette : le goût du beau.
Elle qui relevait le menton des roses pour voir leur visage s’éteignit en 1954. Lors de ses funérailles nationales et laïques Aragon écrivit :
« Une aile va manquer au murmure français ». Et Roland Dorgelès d’ajouter : « On dirait qu'elle nous a donné ses livres à respirer. »
Jean d’Ormesson : la légèreté de l’humour.
Son regard bleu d’une grande intensité a illuminé plus d’une fois le petit écran tout comme son célèbre le Figaro. Jeune aristocrate, cet écrivain, profite de l’opportunité de la création d’une ONG (organisation non gouvernementale) : le Conseil International de la Philosophie et des Sciences Humaines. Il pense y rester trois mois mais y passe quarante années de sa vie. Il cultive à satiété la posture du paresseux et du dilettante qu’il n’est pas. Il profite des possibilités offertes par l’Unesco pour voyager et enrichir sa culture. Ce qui lui fera dire « j’ai longtemps écumé, maquereau de la culture, les congrès de la philosophie ». Néanmoins de ses nombreux voyages, il retiendra : « j’ai vu, inséparables et main dans la main la beauté du monde et la misère humaine ».
Élu sous la Coupole au premier tour le 18 octobre 1973, il apporte un vent de liberté à l’institution. A son tour, en 1980, il réussit à faire entrer la première femme à l’Académie Française : Marguerite Yourcenar.
Au final, Jean d’Ormesson a été un grand rassembleur entre l’élite et le peuple. En témoigne le succès de ses livres qui constituent une vaste autobiographie.
Maurice Druon : du chant des partisans au rois maudits.
Grand résistant lors de la seconde guerre mondiale, il compose le chant des partisans avec son oncle Joseph Kessel à la demande du général d’Astier de la Vigerie. Ce dernier souhaitait une chanson qui rassemble moralement tous les gens de l’armée des ombres. Druon trouva les mots les plus simples et les plus galvanisants pour exprimer l’âme d’un peuple dans un moment aussi tragique. La première phrase « Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur la plaine » lui est venue en pensant aux chouans qui s’appelaient dans la nuit en imitant le hibou. Jugeant le hibou trop sympathique, il l’a remplacé par le corbeau.
Maurice Druon est un grand écrivain auteur des grandes familles (prix Goncourt 1948), des rois maudits qui ont été portés à la télévision avec le succès que l’on connaît. Depuis son adolescence, cet homme flamboyant, fougueux, généreux fut un ardent défenseur de la langue française. Académicien (élu en 1966) et secrétaire perpétuel de la noble institution jusqu’en octobre 1999, ministre des Affaires culturelles (1973/1974), toute sa vie il a magnifié la langue française.
Jean Pruvost : le dicopathe.
Jean Pruvost, Professeur émérite de lexicologie et de lexicographie à l’Université de Cergy-Pontoise est un incurable dicopathe. Il possède plus de 10 000 dictionnaires chez lui. Chaque année, et ce depuis vingt cinq ans, il organise La Journée des Dictionnaires dans le cadre de la semaine de la langue française. Ce passionné des mots tient diverses chroniques dans les médias : France Bleu ; RCF ; Lefigaro.fr ; La Croix ; La Croix l'hebdo ; Femme Actuelle Jeux, France Info TV…
Cet universitaire, souligne Axel Maugey, défend et illustre non seulement l’esprit français mais également le dialogue passionnant entre les cultures. Il a dirigé entre autres un dictionnaire de la Chine et un autre sur le Japon.
Cette passion pour les mots, il les doit au marché conclu avec son père pour obtenir une mob (mobylette), son rêve. Pendant un an, chaque jour il devait réciter devant son géniteur vingt mots anglais, vingt mots allemands, utiliser une machine à écrire pendant un quart d’heure, jouer de la clarinette pendant trente minutes, faire un quart d’heure de sténo et pratiquer la gymnastique pendant vingt minutes. Et...il a eu sa mob.
Depuis il transmet avec bonheur sa passion des mots et des dictionnaires.
Citation de Jean Pruvost
" Traquer ou plutôt dénicher les mots, tous les mots, d'hier et d'aujourd'hui. Les observer, avec tendresse et réalisme. Puis les cueillir et les offrir dans leur contexte. En faire partager l'histoire, la saveur, les secrets, les élans. "
Haro sur le globish.
Nous ne reviendrons certainement pas au français des Lumières, note Axel Maugey, mais comme l’exprime si bien Fabrice Luchini : « être Français c’est mettre des mots intelligents sur les sentiments ». C’est aussi se souvenir des leçons de Molière qui ne donne pas une définition de la langue française mais nous éclaire sur le sens des mots « et l’on cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé »
Aujourd’hui, il est de notre devoir, poursuit Axel Maugey, de défendre la langue de la civilisation (la nôtre) et faire barrage au globish la langue de la communication et des affaires. Pourquoi ne pas faire de la délicatesse, de la subtilité des mots un enseignement ? Et en faire le ciment d’une société multiculturelle. Comme le confiait Marc Fumaroli, académicien, « loin de se contenter de faire communiquer entre eux ses locuteurs, femmes et hommes, il [le Français] leur ouvre un monde supérieur de sociabilité et de dialogue où les lettres, les arts, les sciences contribuent à créer le milieu favorable à un vivre ensemble dans le bonheur de la parole ».
Mireille HEROS