L’esprit français
Lors de la conférence organisée par l’Académie de la Poésie Française le 8 mai 2024, Axel Maugey a rendu hommage aux femmes qui ont contribué à bâtir l’esprit français. Celui de la culture, de la richesse et de la subtilité de la langue française.
A différentes époques de l’histoire de France, elles sont nombreuses à avoir patiemment tissé, telles Pénélope, ce qui fait notre liberté, une toile pleine de sens et de beauté au service de la liberté. De Madame de Lafayette à Jacqueline de Romilly, les femmes de plume ont su nous éclairer sur le combat et la place des femmes dans la société.
Madame de Lafayette, créatrice du roman moderne. Marie-Madeleine Pioche de Lavergne, comtesse de Lafayette, naît à Paris en 1634, ville qu’elle ne quittera plus jusqu’à son décès en 1693. Son père meurt alors qu’elle n’a que quinze ans. Sa mère se remarie avec Renaud René de Sévigné, un des oncles du mari de Madame de Sévigné. Une solide amitié unira, quelques années plus tard et pour toujours, Marie-Madeleine et Madame de Sévigné.
A l’âge de 22 ans, Marie-Madeleine rencontre le comte de Lafayette, issu de la haute noblesse auvergnate, et convole en justes noces huit jours plus tard. Elle accompagne souvent son mari sur ses terres mais revient très souvent à Paris où elle ouvre son propre salon littéraire dans son hôtel particulier, rue de Vaugirard. Après la naissance de leur fils, les liens du mariage se distendent.
Avec les encouragements de Jean Régnault de Segrais qui deviendra son secrétaire et de Gilles Ménage, tous deux hommes de lettres, Madame de Lafayette prend la plume et signe ses romans sous le nom de Segrais, dont le plus connu est la princesse de Clèves .
En 1669, elle se lie à de la Rochefoucauld, illustre frondeur et auteur de maximes. Elle devient également la confidente de l’idole de la cour : la duchesse d’Orléans, née Henriette d’Angleterre. Elle fréquente son salon et y côtoie Molière, Racine et Boileau.
En dépit de la période noire de la Révolution française, affirme Axel Maugey, Madame de Lafayette a marqué son temps en créant le roman moderne.
Madame de Sévigné, l’épistolière. Tout au long de sa vie, Madame de Sévigné a fasciné, jusqu’à nos jours, bon nombre de gens d’esprit. Elle possède la grâce de l’écrivain. Ses relations épistolaires avec sa fille en témoignent. Elle écrit pour donner du plaisir à ses correspondants, un peu à la manière de Colette, elle écrit « Avez-vous des muscats ? Vous ne parlez que de figues ? ».
Veuve à 27 ans d’un mari libertin, la Marquise adore son indépendance et ne compte plus ses soupirants au rang desquels Fouquet, Turenne, le prince de Conti, le cardinal de Retz. Amoureux éconduit, Bussy Robertin se venge en la décrivant comme une « allumeuse amusante et naturelle ». La réponse est la hauteur de la finesse de cette femme d’esprit : « Ne cessez point d’être aimable puisque vous êtes aimé ». Sans parents, sans mari, sans amant, elle n’existe pleinement qu’à travers ses enfants et surtout sa fille à qui elle écrit deux lettres par semaine.
En 1774, l’éditeur Perrin publiera 600 lettres.
Germaine de Staël, l’amoureuse de la liberté. Avril 1793. La convention considérant les femmes comme des « individus mentalement débiles », décrète qu’elles n’ont pas le statut de citoyen et ferme, en octobre de la même année, tous les salons littéraires féminins. Germaine de Staël qui appartient à la gauche constitutionnelle de son temps, récuse ces positions extrémistes et soutient l’égalité de tous les citoyens devant la loi, les libertés individuelles aussi bien celle de la presse que celle des cultes.
Cette femme moderne, née en 1766 à Paris, est la fille de Jacques Necker, grand témoin de la révolution française. A 14 ans elle a lu tout Montesquieu et en est la disciple.
Dès la proclamation de la Commune, elle est menacée. Elle est sauvée par son statut d’épouse de l’ambassadeur de Suède. Elle échappe à la Terreur et se réfugie en Suisse. De cette terrible période, elle tire une leçon : « se rallier toujours au parti le moins mauvais ». Elle connaît la célébrité en 1796 avec son livre « De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations »
Colette, la scandaleuse. Née à Saint-Sauveur en Puisaye en 1873, Colette connaît les bouleversements suscités par les deux guerres mondiales avant de s’éteindre à Paris en 1954. C’est avant tout une femme libre qui a toujours assumé ses choix. Elle sera tout à tour comédienne, critique, scénariste, danseuse, dialoguiste, journaliste… Elle atteint la maturité d’écrivain à l’âge de 46 ans. Chacun de ses livres constitue une étude des mœurs de son époque : l’amour, le couple, les troubles de l’adolescence… tout ce qui fait la vie. « Son chef d’œuvre, estime Axel Maugey, est sans doute « la naissance du jour » qui offre à la fois un art de vivre et un art d’aimer.
Jacqueline de Romilly, l’académicienne. Née à Chartres, en 1913, elle est la fille de Maxime David, professeur de philosophie, mort pour la France, et de Jeanne Malvoisin. En 1930, elle est la première lauréate féminine du concours général avec un premier prix de version latine et un deuxième prix de version grecque.
Phénomène d’érudition, de simplicité, de courage et de volonté, l’académicienne n’a cessé de nous rappeler l’origine de notre propre culture, rappelle Axel Maugey, c’est-à-dire le poids dans nos consciences de la langue et de la littérature grecques. En reconnaissance de son implication, elle reçoit en 1995 la nationalité grecque qui couronne son engagement pour littérature grecque ancienne, écrivant et enseignant soit sur les auteurs de l’époque classique (comme Thucydide et les tragiques) soit sur l’histoire des idées et leur analyse progressive dans la pensée grecque (ainsi la loi, la démocratie, la douceur, etc.). Quelques livres sortent de ce cadre professionnel ou humaniste : un livre sur la Provence, paru en 1987, et un roman, paru en 1990, ainsi que quatre volumes de nouvelles.
Après avoir été la première femme professeur au Collège de France, Jacqueline de Romilly a été la première femme membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1975) qu’elle présidera en 1987. Membre correspondant de nombreuses académies en Europe et outre-Atlantique, elle est élue à l’Académie française, le 24 novembre 1988.
Elle décède le 18 décembre 2010 à Boulogne-Billancourt.
A travers ces cinq portraits, Axel Maugey, rend hommage aux femmes qui après avoir donné la vie ont contribué à la création de l’esprit français qui rayonne dans le monde, au rang desquelles Louise de Vilmorin*.
Mireille HEROS
*Consulter l’article Louise de Vilmorin, l’amoureuse de l’amour
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par Axel Maugey, professeur des Universités, poète, essayiste et lauréat de l'Académie française pour l'ensemble de son oeuvre,