Marianna Esposito Vinzi, conférencière et membre de la Société Dantesque de France, Paris Sorbonne et de l'Académie de la Poésie Française, nous propose de découvrir Natalie Clifford-Barney
Natalie Clifford-Barney nait le 31 octobre 1876 à Dayton, dans l’Ohio, aux Etats-Unis. Son père avait hérité l’entreprise familiale qui construisait des wagons de chemin de fer. Le développement de ce mode de transport au XIX siècle valut à la famille Barney d’accumuler une fortune considérable.
Eduquée entre précepteurs et institutions exclusives, Natalie Barney développa une passion unique pour le latin, la littérature et la langue française.
Natalie Barney, après un mariage de convenance organisé par sa famille avec le duc Clifford, mariage qui dura juste quelques mois, fut la pionnière déterminée qui eut à cœur d’exprimer tôt et clairement la nature de ses sentiments de ses intérêts érotiques spécifiques.
Elle fut, avec Colette et Renée Vivien, parmi les premières des lesbiennes comme telle assumées, celles que l’écrivain Rémy de Gourmont désigna sous le terme « d’Amazones ».
Natalie Clifford-Barney, muse des premiers poèmes publiés par Renée Vivien, écrira d’elle-même : « Je ne me suis jamais conformée et pourtant je suis. Le lesbianisme me semble tout ce qu’il y a de plus rose et d’innocent. »
Lucie Delarue-Mardrus, poétesse et romancière, elle aussi androgyne et très prolifique dans son recueil de poèmes écrit entre 1902 et 1903, chantait son amour pour la Barney comme « un amour qui dévore le monde...toi blanche et flexible, toi qui sous ta crinière indiciblement blonde, avec tes cils froids où s’aiguise un regard dur et bleu… ».
Lignes rondes des corps féminins, yeux étincelants d’intelligence, sarcasme, volonté d’imposer son esprit d’indépendance et son objectivité, les poèmes de Natalie Clifford-Barney révèlent l’audace des thèmes et des engagements unis à la volonté indomptable de ne céder devant aucune obligation, sinon celle de ses propres volontés et désirs. Son « immoralité » s’accommode dans ses poèmes avec le goût du verbe fruité et l’invention de l’image concrète.
Natalie Clifford-Barney meurt à Paris en 1972, à l’âge de 96 ans.
Méduses
Dans la forêt de mort, sans saisons, sans feuillages,
-Où la sève des pins, de leurs troncs mutilés,
Coule en lente agonie- il est un exilé
De la vie, attendant de vains appareillages.
Il regarde la vague apporter sur la plage
Les masques transparents, aux traits annihilés,
Des méduses. – Semblable aux ruines de Philae,
À ces visages d’eau s’oppose son visage.
Masques faits et défaits du mouvement des flots,
La mer toujours les roule à même ses sanglots,
Des soleils de minuit jusqu’à l’aube des lunes.
Les immolés ont tous la face de Jésus,
Qui, des sables passifs, rejetés par le flux,
Comptent le temps sans fin au sablier des dunes.
(Poèmes et autres alliances, 1920)
« Je veux t’aimer idéalement, travailler dignement pour toi, moi, nous…
Adviendra ce qu’il pourra, je lie ma destinée à la tienne,
Tant et si bien que déjà je souffre de tes moindres maux
En ne ressentant que ceux qui me viennent de toi.
Pour m’épargner, épargne-toi, et donne-moi quand tu le voudras et pourras
Ces rares douceurs dont la vie m’est si peu prodigue.
Ainsi que le Satan de Milton, tu peux faire du ciel un enfer, de l’enfer un ciel ».
« Une de ces nuits m’ouvriras-tu peut-être ton cœur et tes bras
Et non seulement pour un peu, mais pour toujours et non de loin.
Quoiqu’il soit silencieux, calme le petit interlude de ton rêve et tache de garder beau
Et tien mon amour…Car ce serait peut-être pour te dire bonsoir,
Pour te dire de jolies choses que je voilerais de sommeil et de caresses
Se traînant de lassitude, des caresses d’automne,
Des caresses et des mots harmonisant bien avec la fin du jour.
Cherche-moi dans le passé et tiens un peu embrasé mon souvenir.
Pense parfois ainsi à une voix qui se tue de n’être pas mieux écoutée. »
« Ah, quel bonheur d’avoir les mains sans bagues,
Le cou sans chaînes, le corps sans servile empreinte.
Je me réjouis d’être mon maître-maîtresse,
Orgueilleusement, fièrement libre !
J’écoute la douce voix de mon plaisir, lui seul a le droit de me commander.
Il me dit sois encore son amie, essaie de la consoler…
Et si elle te sourit, tes cheveux regagneront leur clarté et sa jeunesse son parfum !
Je me frôle au blanc vêtement de ton âme
Et en retire plus de joie qu’eux tous de tout le reste ! »
(Natalie Clifford-Barney à Liane de Pougy, courtisane.
Paris 1899)
Hais-moi dès à présent si tu dois me haïr !
Alors qu’à te liguer contre moi tout t’invite,
Viens joindre tes efforts, accable-moi bien vite,
Et ne vas pas du moins après coup me trahir !
Quand mon cœur aura mis tous mes chagrins en fuite,
Puisses-tu derrière eux soudain ne pas surgir !
Oh ! Non, n’apaise pas le vent si ton désir
N’est que de retarder la catastrophe écrite !
De grâce si tu veux me laisser n’attends pas
Que de frapper sur moi le sort se montre las
Sois au premier assaut : ainsi j’aurai la chance
De recevoir plus tôt les coups les plus mortels,
Car ceux que je regarde aujourd’hui comme tels,
Quand je t’aurai perdue seront sans importance !
(Idylle, 1899)