Selon Gilles Henry, écrivain et historien normand, différents recoupements permettent de situer la naissance de François de Malherbe en 1555 au manoir d’Arry, commune de Loucheur, à une quinzaine de kilomètres de Caen même si cette dernière revendique le poète comme l’un de ses plus célèbres enfants.
Rien ne prédestinait le jeune François à devenir poète. Un grand-père avocat dont la descendance s’illustrera parmi les gens de robe, un oncle militaire, un autre religieux… Son père, François de Malherbe sieur Digny était conseiller du roi au siège du présidial (1) de Caen après l’avoir été à Saint-Lô. Il était reconnu pour son expérience du barreau et considéré comme un modèle de sagesse, d’une distinction innée et d’une gravité austère. Sa mère, Louise le Vallois, était issue d’un milieu familial austère et empreint de piété fervente.
Cependant, la guerre des religions gronde. Le jeune François de Malherbe voit son père s’engager pour l’Église Réformée dont les idées humanistes professées par les animateurs du « Cénacle de Meaux »(2) ont conquis l’université de la ville. En 1558, l’église réformée s’établit officiellement à Caen et gagne rapidement les villes normandes. En 1560, un édit déclare les protestants comme criminels de lèse-majesté. Le 5 décembre de la même année, Charles IX, âgé de 10 ans et demi succède à son frère François II et monte sur le trône. Catherine de Médicis se saisit de la régence en cette période mouvementée qui débouchera sur les guerres de religion.
Dans ce contexte, le père du futur poète choisit le camp des protestants. Il fait inscrire ses enfants sur les registres de l’église réformée alors que vraisemblablement ils ont été baptisés à l’église catholique.
Progressivement, les réformistes prennent les commandes de la ville parmi lesquels le père de François de Malherbe. Les protestants qui avaient souffert rendent coup par coup. La Réforme cesse d’être une église pour devenir un parti politique, avec des Huguenots d’État et des Huguenots religieux. La rivalité entre catholiques et protestants devient meurtrière pour des années.
Après le massacre des protestants à Wassy perpétré par le duc de Guise, il s’ensuit des affrontements violents entre les deux factions. Âgé d’un peu plus de huit ans, le jeune François a sans nul doute été le témoin de ces batailles où tonnait le canon. Peut-être sont-elles à l’origine pour la carrière militaire (sa première vocation) et de son opposition à son père.
Il n’a que quinze ans lorsqu’une déclaration royale en 1570, interdit aux Réformés de tenir école ou collège. Son éducation est confiée à un précepteur, Lamy, puis il est mis en pension chez les frères Pierre et Philippe Martin, éditeurs de l’œuvre maîtresse de Calvin (3). Le pasteur Richard Dinoth (4), ensuite le prend en charge et lui fait connaître Jean Rouxel qui deviendra un fameux professeur d’éloquence, formé à Bâle et Heidelberg. Le jeune François suivra ses traces et s’inscrira dans ces universités. Il rentre à Caen après la nuit de la Saint-Barthélémy (5). Son père se fait très discret dans les mouvements protestants. François, lui, doit choisir sa voie. En tant qu’aîné, la charge paternelle lui revient mais il éprouve une « très grande répugnance pour la longue robe » et les six années d’études supplémentaires qu’elle nécessite. Il préfère « l’épée, la vraie profession du gentilhomme ». Le jeune Malherbe opère un choix politique et rejoint les rangs du pouvoir qui est … catholique ! Il se lie d’amitié avec Vauquelin de la Frenaye, locomotive du mouvement poétique, qui avait rejoint les rangs du maréchal de Matignon contre les protestants.
1 - Le présidial était le tribunal civil chargé des affaires courantes.
2 - Au début du XVIe siècle, l’Église est en crise morale et politique depuis deux siècles mais ne parvient pas à la surmonter. Dans le cadre de la Renaissance, l’humanisme apparaît, tandis que l’imprimerie permet la diffusion des écrits. C’est dans ce contexte que les idées de Luther pénètrent en France. En 1521 Lefèvre d’Étaples, fonde le cénacle de Meaux, foyer de réflexion préconisant la prédication de l’Écriture dans les paroisses en français (ou langue ordinaire) et non en latin. Des églises réformées apparaissent et s’organisent.
3 - Jean Calvin né en Picardie en 1509 et mort à Bâle le 25 juillet 1564) est le pasteur emblématique de la réforme protestante en France Né une génération après Luther et Zwingli, la tâche de Calvin n’est pas d’offrir des idées originales, mais d’agencer la vision nouvelle de ses prédécesseurs en un ensemble cohérent. La clarté de l’exposition doctrinale de Calvin aide au rayonnement de sa pensée.
Il reprend le message essentiel de Luther sur le salut gratuit en Jésus-Christ pour celui qui croit. Comme lui, il proclame donc la justification par la foi seule, sola fide, et non par les œuvres. Mais tandis que Luther centre son message sur Jésus-Christ, Calvin, dans la mouvance de Zwingli, le centre davantage sur Dieu, à qui revient toute gloire
4 - Richard Dinoth né à Coutances en 1540 et mort à Montbéliard (Doubs) en 1586, est un pasteur protestant et historien de la Manche.
5 - 530 000 protestants seront massacrés en une nuit