Joë Bousquet naît le 19 mars 1897 à Narbonne dans une famille aisée. Son père, Joseph, est médecin major dans l’armée qu’il quitte en 1900 pour s’installer à Carcassone en 1900 où il ouvre son cabinet médical
A l’adolescence Joë Bousquet se comporte en mauvais garçon, agressif et coureur. Son père le prédestinait à une carrière dans la banque, ce que Joë redoutait. A 19 ans, il devance l’appel. Il est affecté dans un corps d’infanterie avec le grade de lieutenant. Envoyé au front, il est décoré pour son audace et son courage. Hélas, le 27 mai 1918, sa compagnie est décimée lors d’un combat de tranchée à Vailly. Poussé par le désespoir et un chagrin d’amour, il se lance à l’assaut chaussé de bottes rouges pour être remarqué. Une balle traverse sa colonne vertébrale et le rend paraplégique, incontinent, impuissant pour le restant de ses jours avec à la clé de violentes douleurs que seules les opiacées apaisent. Il ne quittera plus sa chambre dont les volets resteront fermés jusqu’à sa mort le 28 septembre 1950. Il ne cesse d’écrire et laisse une œuvre poétique considérable à la fois mystérieuse, méditative, métaphysique. En dépit de son immobilité, il reçoit de très nombreuses visites du monde artistique et intellectuel : Paul Eluard, Max Ernst, Jean Paulan, Simone Weil ainsi que le chantre de l’Occitanie et historien du catharime : René Nelli.
Mireille HEROS
Poème du soir
Sur une couche pâmée
L’éclair qu’efface un instant
Met sa robe de fumée
Pour suivre au large le vent
Sur des terres sans mémoire
Chaque pied a son soulier
L’aile est blanche l’aile est noire
Le jour n’est lui qu’à moitié
Sur un manège de cendres
0ù l’homme n’est que ses pas
Le coeur a battu pour surprendre
Ce qu’un regard ne voit pas
C’est l’espoir qu’un monde à naître
De notre ombre ait fait le noir
Et nous riant aux fenêtres
N’ait que nos yeux pour se voir
Sous des quatrains qu’elle inspire
Aux jours qui doutent de toi
La vie a ses dents pour sourire
De ce qui fut une fois
(Joë Bousquet)
Le déshérité
On voit à peine son
visage
Les malheureux n’ont l’air de
rien
Son père dit qu’il n’a plus
d’âge
Sa mère dit je l’aimais
bien
Des jours brisés qu’il se rappelle
Il n’est pas sûr qu’il ait souffert
Tant sa douleur est naturelle
Son sourire est mort l’autre hiver
Il pleut des jours le jour en pleure
L’avril périt de ses parfums
Et comme lui les regrets meurent
Sait-on d’un mort s’il fut quelqu’un
Ils iront le voir à l’asile
Il a des frères il a des sœurs
Jouer aux sous dans sa sébile
Nul ne peut rien à son malheur
S’il a vécu comme personne
Souvenez-vous par charité
Qu’un monstre attend qu’on lui pardonne
L’affreux bonheur d’avoir été
Joë Bousquet