Jean-Pierre Paulhac et Jean-Pierre Dejou
Jean Richepin : le célèbre inconnu
Si Brassens n’avait pas posé les rimes de l’auteur de la chanson des gueux sur les cordes de sa guitare, Jean Richepin serait resté dans les oubliettes de la littérature française. Le temps d’une conférence, Jean-Pierre Paulhac, a remis ce poète turbulent sur le devant de la scène de l’Académie de la Poésie Française, le 10 décembre 2023.
Jean Richepin naît le 4 février 1849 à Médéa en Algérie où son père, militaire bien-pensant, exerce le métier de chirurgien. Il passera son enfance et son adolescence, dans l’Aisne, berceau de la famille paternelle. En 1866, son bac en poche, il découvre la vie universitaire au Quartier Latin. où il se fait très vite remarquer par ses excentricités et fait la connaissance de Léon Bloy, Paul Bourget, Maurice Rollinat et surtout Raoul Ponchon, rencontré dans les salons de la maîtresse de Charles Cros, Nina de Villard, et qui deviendra son ami inséparable à tel point qu’ils seront enterrés dans le même caveau. Avec Raoul Ponchon et Maurice Bouchor, il fonde « Le Groupe des Vivants ».
Admis à l’Ecole Normale Supérieure, il en est renvoyé pour indiscipline. Qu’à cela ne tienne, il s’installe sur le trottoir devant l’institution et organise une vente de « marrons grillés de l’Ecole Normale Supérieure ». En 1870, il obtient sa licence de lettres. La première guerre franco-prussienne éclate, il part à la guerre. A la fin de la bataille de Sedan, la République est restaurée, il s’engage dans le corps des Francs-tireurs. A l’armistice, il assiste sans y participer à la Commune. Atterré par la défaite et la terrible répression qui s’ensuit, il abandonne la société bourgeoise. Fortement inspiré par les œuvres de Petrus Borel, Baudelaire et Jules Vallès, qu’il considérait comme le réfractaire par excellence, il se décide à rejeter le joug des conventions sociales et culturelles, à célébrer l’instinct. Vantant, non sans humour, sa force physique, sa virilité, sa prétendue hérédité bohémienne, il se crée une biographie imaginaire et riche en couleurs.
Il quitte la demeure familiale, prend la route et rencontre une troupe de bohémiens en Bourgogne qu’il suit jusqu’en Italie. Il exerce tous tous les métiers : journaliste, professeur, matelot, docker.
En 1875, il retrouve Paris, le quartier latin et son ami Raoul Ponchon. Il rejoint le groupe des Parnassiens mais en sort rapidement pour fonder le groupe des Vivants qui vise à lutter contre les conventions formelles et à rapprocher l’art de la vie réelle.
Sa vie marginale lui inspire son premier recueil de poésie, un ouvrage provocateur, "La Chanson des gueux", publié en 1876. L’ouvrage fait scandale à sa sortie car Jean Richepin, tel un Villon moderne, y dépeint un peuple semblant tout droit sorti de la Cour des Miracles. "La Chanson des gueux" lui coûte 500 francs d’amende et un mois de prison : « J’entends parler de l’Art pur, de lui seul, écrit-il dans la préface du recueil. Sans doute, on trouve des écrivains qui emploient des moyens artistiques pour propager des théories politiques, sociales, morales, et il va sans dire doivent des comptes à d’autres qu’à la Critique ». Le succès est au rendez-vous. Néanmoins, il faudra attendre 1964 pour découvrir les passages censurés « une scène d’amour entre un clochard et une clocharde. A la manière de Villon, l’ouvrage dénonce la misère des villes et des campagnes.
Désormais connu et reconnu, jean Richepin récidive en 1877 avec « les caresses », recueil de poèmes amoureux à la limite érotiques.
Richepin s’embourgeoise. En 1879, il se marie avec Adèle Eugénie Constant et revient aux valeurs fondamentales de la famille. Etabli de façon notoire dans la République et les Lettres, le poète veut réussir dans le théâtre. Il paraît aux côtés de Sarah Bernhardt dans le premier rôle de son drame, Nana-Sahib, qui se heurte à une semi-indifférence du public. Mais, le succès sera au rendez-vous avec Le Chemineau en 1897.
Il collabore au Gil Blas et publie plusieurs romans très populaires, tels La Glu (1881) et Miarka, la fille à l'ourse (1883). Grand voyageur, il parcourt l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, la Scandinavie, l'Afrique du Nord, … Il donne des conférences, rédige des carnets de voyage pour la presse. Il s’embourgeoise en vivant de sa plume. Comme le souligne Jean-Pierre Paulhac ses lieux de résidence à Paris témoignent de son ascension sociale : 6ème arrondissement, puis 17ème et enfin 16ème à Passy.
Le 5 mars 1908, il rejoint les Immortels sous la Coupole, accueilli par Maurice Brrès, chantre nationaliste. Aux antipodes de ses convictions de jeunesse, il achète le château de Monchauvet dans les Yvelines dont il devient maire en 1912. Il tente la députation en 1914, sous l’étiquette « Alliance démocratique des fédérations de gauche » mais sera battu par Ceccaldi, le député sortant.
La guerre de 14/18 éclate. Il participe au conflit avec des écrits patriotiques et notamment un sonnet « le retour à la terre ». En 1920, il se retire des affaires et devient la cible du Canard enchaîné : il incarne la bourgeoisie après avoir été anarchiste. Il publie deux recueils : les glas (1922), et interlude (1923).
Il tire sa révérence le 11 décembre 1926 à l’âge de 78 ans.
Dans un article paru le 13 décembre 1926 dans l’Excelsior, on peut lire : C'est en posant pour une prise de film, que l'éminent écrivain prit froid et contracta le mal qui vient de l'emporter...Poète, c'est ce qu'il fut toute sa vie. s'enchantant de toutes idées , de tous les rythmes et de tous les mots, car il avait, avec le culte du verbe, l'amour des mots qui le composent : ces mots qui disent tout, labeur, vœux, peine…
Le président de la République a, chargé un officier de sa maison militaire, le colonel Jules Michel, de porter ses condoléances personnelles à la famille de l'illustre académicien.Au cours de la soirée, sont venus s'inscrire les membres de l'Académie française, plusieurs ministres et. généraux, ainsi qu'un très grand nombre de personnalités du monde des arts et des lettres.»
Mireille HEROS