Le 9 octobre 2024, Geneviève Haroche Bouzinac, présentait la plus célèbre des épistolières françaises : Madame de Sévigné. Elle lui a consacré une volumineuse biographie (près de 600 pages), couronnée par le prix Goncourt.
Écrites entre 1648 et 1696, les lettres de Madame de Sévigné sont d’abord destinées à un cercle privé auquel elle s’adresse avec une grande liberté de ton pour narrer ce que son esprit vif retient des frasques de la Cour de Louis XIV.
C’est au deuxième étage de l’hôtel de Coulanges, situé sur l’actuelle place des Vosges, que naît Marie, fille de Celse-Bénigne de Rabutin, baron de Chantal et de Marie de Coulanges. Le couple, uni depuis le 14 mai 1623, a emménagé la même année chez les parents de la mariée… Hélas, pour la petite Marie, elle se retrouve orpheline à l’âge de sept ans. La famille Coulanges la protège d’une tante malintentionnée en refusant de la placer dans un couvent. Cette même famille la dote d’un instinct de liberté qui ne la quittera jamais. Cette sainte liberté, affirme Geneviève Haroche Bouzinac, régit la vie sociale et amicale de l’épistolière et la rend incapable de servilité. Marie grandit entourée de livres, qui ont très certainement influencé son don pour les écrits épistolaires.
La jeune Marie épouse le marquis de Sévigné à 18 ans. Ils auront une fille, Françoise, et un fils Charles qui lui donnera bien des soucis et finira sa vie dans un monastère. Une fois de plus Marie est confrontée à la perte d’un proche, son mari qui perd la vie dans un duel à 25 ans pour les beaux yeux de sa maîtresse, Madame de Gondran. Elle décide alors de ne pas se remarier et de se consacrer à la vie mondaine et à l’éducation de ses enfants. C’est seulement à partir de ses 45 ans qu’elle entame une abondante correspondance avec sa fille, épouse du comte de Grignan. Après la nomination du comte au grade de lieutenant-général en Provence par Louis XIV, le couple s’installe à Aix-en-Provence. Madame de Sévigné vit cette séparation comme un véritable déchirement. Néanmoins, Françoise s’ennuie. C’est donc pour la distraire que Madame de Sévigné commence une intense correspondance avec elle. Elle lui raconte aussi bien la société dans laquelle elle évolue que ses états d’âme de mère, le tout avec une plume d’écrivain. Elle lui écrit deux à trois lettres par semaine de Paris ou de sa résidence secondaire aux Rochers.
Souvent Mme de Sévigné se plaint de l'acheminement irrégulier du courrier.
Le 27 mai 1680, elle écrit à sa fille :
« Ma bonne, je vous écris ce soir, parce que, Dieu merci, je m'en vais demain dès le grand matin, et même je n'attendrai pas vos lettres pour y répondre : je laisse un homme à cheval qui me les apportera à la dînée [dans la soirée], et je laisse ici cette lettre, qui partira ce soir, afin qu'autant que je le puis il n'y ait rien de déréglé dans notre commerce. J'écris comme Arlequin, qui répond devant que d'avoir reçu la lettre. Je serais partie aujourd'hui, sans que j’aie voulu l'avoir le même jour [si elle n'avait voulu avoir la lettre de Mme de Grignan le jour même de son départ]... »
Le 14 juillet, c'est la même antienne :
« J'ai reçu enfin, ma fille, vos deux lettres à la fois ; ne m'accoutumerai-je jamais à ces petites manières de peindre [de faire] de la poste ? et faudra-t-il que je sois toujours gourmandée par mon imagination ? La pensée du moment où je saurai le oui ou le non d'avoir ou de n'avoir pas de vos nouvelles me donne une émotion dont je ne suis point du tout la maîtresse ; ma pauvre machine en est tout ébranlée ; et puis, je me moque de moi. C'était la poste de Bretagne qui s'était fourvoyée pour le paquet de du But uniquement ; car j'avais reçu toutes les lettres dont je ne me soucie point. Voilà un trop grand article : ce même fond me fait craindre mon ombre toutes les fois que votre amitié est cachée sous votre tempérament ; c'est la poste qui n'est pas arrivée : je me trouble, je m'inquiète, et puis j'en ris, voyant bien que j'ai eu tort... »
Elle s’en ouvre à Louvois, intendant général des Postes, qui en 1672 réorganise complètement le service et crée la Ferme des Postes.
Cette correspondance est un lien précieux avec sa fille chérie.
À Madame de Grignan À Paris, ce vendredi 6 février 1671.
Ma douleur serait bien médiocre si je pouvais vous la dépeindre, je ne l’entreprendrai pas aussi. J’ai beau chercher ma chère fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu’elle fait l’éloignent de moi. Je m’en allai donc à Sainte-Marie toujours pleurant et toujours mourant ; il me semblait qu’on m’arrachait le cœur et l’âme ; et en effet, quelle rude séparation ! Je demandai la liberté d’être seule : on me mena dans la chambre de madame du Housset, on me fit du feu ; Agnès me regardait sans me parler ; c’était notre marché : j’y passai jusqu’à cinq heures sans cesser de sangloter ; toutes mes pensées me faisaient mourir. J’écrivis à M. de Grignan, vous pouvez penser de quel ton ; j’allai ensuite chez madame de La Fayette, qui redoubla mes douleurs par l’intérêt qu’elle y prit : elle était seule, et malade et triste de la mort d’une sœur religieuse ; elle était comme je la pouvais désirer. M. de La Rochefoucauld y vint ; on ne parla que de vous, de la raison que j’avais d’être touchée, et du dessein de parler comme il faut à Mellusine. Je vous réponds qu’elle sera bien relancée. D’Hacqueville vous rendra un bon compte de cette affaire. Je revins enfin à huit heures de chez madame de La Fayette ; mais, en entrant ici, bon Dieu ! comprenez-vous bien ce que je sentis en montant ce degré ? Cette chambre où j’entrais toujours, hélas ! j’en trouvai les portes ouvertes ; mais je vis tout démeublé, tout dérangé, et votre petite fille qui me représentait la mienne. Comprenez-vous bien tout ce que je souffris ? Les réveils de la nuit ont été noirs, et le matin je n’étais point avancée d’un pas pour le repos de mon esprit. L’après-dînée se passa avec madame de La Troche à l’Arsenal. Le soir, je reçus votre lettre qui me remit dans les premiers transports, et ce soir j’achèverai celle-ci chez madame de Coulanges, où j’apprendrai des nouvelles ; car, pour moi, voilà ce que je sais, avec les douleurs de tous ceux que vous avez laissés ici ; toute ma lettre serait pleine de compliments, si je voulais
Marie de Sévigné en soigne le style et sélectionne les meilleures anecdotes sur la vie de la cour. D’échanges personnels, ces lettres deviennent une œuvre littéraire, à la fois document sur le siècle de Louis XIV et monument artistique. S’y associent la perfection d’une langue et la précision d’un regard sur la comédie sociale de son temps.
À M. de Coulanges À Paris, ce vendredi 19 décembre 1670.
Ce qui s’appelle tomber du haut des nues, c’est ce qui arriva hier au soir aux Tuileries ; mais il faut reprendre les choses de plus loin. Vous en êtes à la joie, aux transports, aux ravissements de la princesse. Ce fut donc lundi que la chose fut déclarée, comme je vous l’ai mandé. Le mardi se passa à parler, à s’étonner, à complimenter ; le mercredi, Mademoiselle fit une donation à M. de Lauzun, avec dessein de lui donner les titres, les noms et les ornements nécessaires pour être nommé dans le contrat de mariage qui fut fait le même jour. Elle lui donna donc, en attendant mieux, quatre duchés : le premier, c’est le comté d’Eu, qui est la première pairie de France, et qui donne le premier rang ; le duché de Montpensier, dont il porta hier le nom toute la journée ; le duché de Saint-Fargeau, le duché de Châtellerault : tout cela estimé vingt-deux millions. Le contrat fut dressé ensuite, où il prit le nom de Montpensier. Le jeudi matin, qui était hier, Mademoiselle espéra que le roi signerait le contrat, comme il l’avait dit ; mais, sur les sept heures du soir, la reine, Monsieur et plusieurs barbons firent entendre à Sa Majesté que cette affaire faisait tort à sa réputation ; en sorte qu’après avoir fait venir Mademoiselle et M. de Lauzun, le roi leur déclara, devant M. le Prince, qu’il leur défendait absolument de songer à ce mariage. M. de Lauzun reçut cet ordre avec tout le respect, toute la soumission, toute la fermeté et tout le désespoir que méritait une si grande chute. Pour Mademoiselle, suivant son humeur, elle éclata en pleurs, en cris, en douleurs violentes, en plaintes excessives, et tout le jour elle a gardé son lit, sans rien avaler que des bouillons. Voilà un beau songe, voilà un beau sujet de roman ou de tragédie, mais surtout un beau sujet de raisonner et de parler éternellement : c’est ce que nous faisons jour et nuit, soir et matin, sans fin, sans cesse ; nous espérons que vous en ferez autant. E fra tanto vi bacio le mani
Au Comte de Bussy Grignan, ce 13 novembre 1690.
Quand vous verrez la date de cette lettre, mon cousin, vous me prendrez pour un oiseau. Je suis passée courageusement de Bretagne en Provence. Si ma fille eût été à Paris, j’y serais allée : mais sachant qu’elle passerait l’hiver dans ce beau pays, je me suis résolue de le venir passer avec elle, jouir de son beau soleil, et retourner à Paris avec elle l’année qui vient. J’ai trouvé qu’après avoir donné seize mois à mon fils, il était bien juste d’en donner quelques-uns à ma fille ; et ce projet, qui paraissait de difficile exécution, ne m’a pas coûté trop de peine. J’ai été trois semaines à faire ce trajet en litière, et sur le Rhône. J’ai pris même quelques jours de repos, et enfin j’ai été reçue de M. de Grignan et de ma fille avec une amitié si cordiale, une joie et une reconnaissance si sincères, que j’ai trouvé que je n’ai pas fait encore assez de chemin pour venir voir de si bonnes gens, et que les cent cinquante lieues que j’ai faites ne m’ont point du tout fatiguée. Cette maison est d’une grandeur, d’une beauté et d’une magnificence de meubles dont je vous entretiendrai quelque jour. J’ai voulu vous donner avis de mon changement de climat, afin que vous ne m’écriviez plus aux Rochers, mais bien ici, où je sens un soleil capable de rajeunir par sa douce chaleur. Nous ne devons pas négliger présentement ces petits secours, mon cher cousin. Je reçus votre dernière lettre avant de partir de Bretagne : mais j’étais si accablée d’affaires, que je remis à vous faire réponse ici. Nous apprîmes l’autre jour la mort de M. de Seignelai. Quelle jeunesse ! quelle fortune ! quels établissements ! Rien ne manquait à son bonheur ; il nous semble que c’est la splendeur qui est morte. Ce qui nous a surpris, c’est qu’on dit que madame de Seignelai renonce à la communauté, parce que son mari doit cinq millions. Cela fait voir que les grands revenus sont inutiles quand on en dépense deux ou trois fois autant. Enfin, mon cher cousin, la mort nous égale tous ; c’est où nous attendons les gens heureux. Elle rabat leur joie et leur orgueil, et console par là ceux qui ne sont pas fortunés. Un petit mot de christianisme ne serait pas mauvais en cet endroit ; mais je ne veux pas faire un sermon, je ne veux faire qu’une lettre d’amitié à mon cher cousin, lui demander de ses nouvelles, de celles de sa chère fille, les embrasser tous deux de tout mon cœur, les assurer de l’estime et des services de madame de Grignan et de son époux, qui m’en prient, et les conjurer de m’aimer toujours : ce n’est pas la peine de changer après tant d’années.
Pourtant, Madame de Sévigné ne souhaitait pas être publiée. C’est à l’initiative de sa petite-fille Pauline de Grignan, qu’une première édition de ses Lettres est publiée en 1725, 29 ans après sa mort. Expurgée des lettres rédigées par Françoise, sa mère.
Les lettres de Marie de Sévigné, qui étaient un échange, deviennent ainsi un long monologue.
L’épistolière aura écrit quelques 1500 lettres avant de s’éteindre le 17 avril 1696, victime de la petite vérole.
Mireille HEROS
Bibliographie
A lire : Madame de Sévigné par Geneviève Haroche-Bouzinac chez Flammarion
A consulter : lettres choisies de Madame de Sévigné – TV5 monde
Gallica : les essentiels de Madame de Sévigné
Madame de Sévigné : Lettres – EspaceFrancais.com