Colette
70 ans après sa mort (1954), la réception des textes de Colette est enrichie par les connaissances que nous avons acquises à propos de l’histoire personnelle de l’auteur et de la genèse des textes.
Colette est la vie même. Elle a toujours refusé dans sa vie l’angoisse face à la mort et les conventions qui pétrifient, le jugement des êtres qui, selon elle, sont sujet à l’erreur et pour cela il faut les regarder avec indulgence, toujours avec une grande lucidité et grande attention aux faiblesses et aux fautes humaines.
C’est dans la paix retrouvée de l’après-guerre que s’ouvre la période des chefs-d’œuvre de Colette : aux éléments autobiographiques de ses premiers écrits du cycle de « Claudine à l’école », « Claudine à Paris », « Claudine en ménage » qui datent du début du siècle 1900, s’ajoutent, comme dans le roman La Vagabonde, paru en 1910, la publication de Le Blé en herbe, publié en 1923, dans lequel Colette raconte l’adolescence, ce moment où la sensualité vient compliquer les choses. C’est la découverte du sentiment amoureux et de ses ambiguïtés ; dans ce roman Colette a su saisir un instant, celui du passage de l’enfance à l’adolescence, la conquête d’un avenir d’homme et de femme, l’éveil de la sensualité, l’initiation à l’amour de deux adolescents.
Avec les années 30 commence un quart de siècle d’une grande fertilité pour Colette. D’inspirations très diverses ses œuvres se multiplient.
La plupart des textes ont été écrits pendant la guerre même si on cherchera en vain mention de l’actualité tragique dans ses écrits. Il n’est pas question d’en faire reproche à Colette, « un écrivain », disait-elle, « n’est pas toujours une caisse de résonance de l’actualité ».
Dans «La Naissance du jour» (publié en 1928) elle avait affirmé : «La mort ne m’intéresse pas, la mienne non plus». Pourtant, même si elle ne n’en parle pas, la mort est bien présente dans ses œuvres.
Comme dans « L’Enfant malade » par exemple, où peu de textes de la littérature française offrent l’évocation d’un état onirique, de rêve et délire décrit avec une telle beauté. Et ceux qui aiment les symboles et les images ont vu une sorte de transposition et ont considéré que l’Enfant malade était bien la France des années 1940-1944 et que le délire pouvait être assimilé aux errements des hommes face à la guerre. «Un temps veut qu’on s’applique à vire, un temps vient de renoncer à mourir», tiré de l’Enfant malade, 1944.
La mort n’effraie pas Colette (« l’incompréhensible mort, qui n’enseigne rien au vivants », tiré de La Dame du photographe, 1943) le ciel est vide pour elle, elle n’a aucun dogme religieux, c’est un «voyage au but de la vie le sien» et pas comme pour Louis-Ferdinand Céline un «voyage au but de la nuit».
«J’ai été m’imaginer que ce que la vie ne pouvait pas faire pour moi, je le trouverais dans la mort. Je me suis dit que lorsque le mort s’approche de vous, pas trop vite, pas trop fort, on doit avoir des minutes sublimes, que les pensées s’élèvent, que vous quittez tout ce qui est mesquin, tous ce qui vous a rapetissée, les nuits de mauvais sommeil, les misères du corps» tiré de La Dame du photographe, 1943.
Colette parvient par l’écriture à une pleine conscience d’elle-même. Peu à peu, au fil des pages de ses romans, Colette écrivain y reconstruit son moi : elle qui dans sa jeunesse se lisait dans le regard des autres, réapprend à vivre sa propre vie en écrivant.
«Il m’importait, comme à beaucoup de femmes, d’échapper au jugement de certains êtres, que je savais sujets à l’erreur, enclins à une certitude proclamée sur un ton affecté d’indulgence. Un tel traitement nous pousse, nous, femmes, à nous écarter de la vérité simple comme d’une mélodie plate et sans modulations, à nous plaire au sein du demi-mensonge, du demi-silence et des demi-évasions», tiré de Gigi, œuvre de la maturité, publié en 1944.
Les œuvres de la maturité font l’écho d’une existence qui ne manque pas d’audace et d’originalité. Avec Colette on pénètre aussi dans l’univers d’artiste de music-hall, de mime, de la comédie : vagabonde des cafés concerts, Colette s’accroche aux scandales sans jamais chercher à le fuir sur les scènes de Paris.
Elle a besoin de gagner sa vie après le divorce et c’est dans le contexte de sa vie d’actrice, de mime, de danseuse, de comédienne, de femme seule surtout, de grande amoureuse qui ne refuse pas le charme des femmes que Colette trace pour elle-même le chemin d’une vie qui, à force de lutte et de lucidité, sans jamais renoncer aux plaisirs, retrouve le goût d’exister, la plénitude de son rapport au monde, de dompter un public par sa beauté, par la force de sa présence sur la scène et l’exigence d’affirmer son indépendance.
L’écrivain-créateur Colette, peu à peu, transforme l’errance de l’artiste en un retour vers soi et en même temps c’est tout un rapport au monde que tisse l’acte d’écrire pour elle.
Le besoin de vaincre donc, de trouver ou bien de retrouver son moi pour mieux se construire : «Le moi de demain ne se forge que sur des bases solides qui sont celles du passé et du présent », avait-elle déclaré.
Marianna Esposito Vinzi